mercredi 10 août 2011

J.-K. Huysmans La Bièvre 1890

Huysmans par J.L. Forain
La littérature sur Paris est foisonnante, pléthorique, protéiforme. Il est pourtant de simples plaquettes de quelques pages qui ont ce charme ineffable de s’immiscer dans votre esprit pour mieux se détacher de ses congénères : La Bièvre de Huysmans en est une.

Publiée pour la première fois, en français, en août 1886 dans une revue hollandaise, De Nieuwe Gids, dont il fut fait un tirage à part confidentiel d’une dizaine d’exemplaires, La Bièvre ne se présente au lecteur français que quatre ans plus tard.
Le libraire-éditeur Genonceaux la pare alors de documents, dessins, gravures et plans. Il entame une collection : « Les vieux quartiers de Paris ». Henri Céard devait lui donner Bercy et Le Marais pour petits frères. Il était prévu que Huysmans la place sous le patronage de Saint Séverin. Il n’en sera rien. La Bièvre resta orpheline ; quelques temps.
Reconnaissons toutefois à l’éditeur fratricide le mérite d’avoir publié la même année Les Chants de Maldoror de Lautréamont et, en 1891, le Reliquaire de Rimbaud.

            Il faudra attendre 1898 et l’éditeur habituel de Huysmans, P.-V. Stock, pour que La Bièvre rejoigne Saint-Séverin dans une édition collective, non illustrée celle-ci. Il faut dire que les illustrations choisies par Genonceaux et en particulier le frontispice d’après une aquarelle de Tanguy furent peu goutées du créateur de Des Esseintes. Sans doute eut-il préféré un Forain ou un Raffaelli. 
             Cette rivière de Bièvre, aujourd’hui ensevelie « sous le boulevard de l’Hôpital, dans la clandestine basilique d’un colossale égout» avait attiré Huysmans dès ses débuts dans les lettres. Déjà, Le Drageoir à épices (Dentu, 1874), son premier ouvrage publié à comte d’auteur, contient cette évocation mélancolique : « Cette petite rivière, si bleue à Buc, est d'un noir de suie à Paris et quelquefois même elle exhale des relents de bourbe et de vieux cuirs, mais elle est presque toujours bordée de deux bandes de hauts peupliers et encadrée d'aspects bizarrement tristes qui évoquent en moi comme de lointains souvenirs ou comme les rythmes désolés de la musique de Schubert… ». En 1877 il publie dans La République des lettres de Catulle Mendès un article intitulé La Bièvre qui s’ouvre par ces mots : « La nature n'est intéressante que débile et navrée. Je ne nie pas ses prestiges et ses gloires alors qu'elle fait craquer, par l'ampleur de son rire, son corsage de rocs sombres et brandit au soleil sa gorge aux pointes vertes, mais j'avoue ne pas éprouver devant ses ripailles de sève, ce charme apitoyé que fait naître en moi un coin désolé de grande ville, une butte écorchée, une rigole d'eau qui pleure entre deux arbres grêles. » Ce premier texte, dédié à Henri Céard, sera repris légèrement modifié sous le titre Paysages en 1880 dans les Croquis parisiens. Le croquis était enlevé avec brio par le descendant des peintres d’émaux des Pays-Bas.

            La Bièvre de Genonceaux est entièrement différente. Pas une phrase n’est similaire au texte de 1877. Nous sommes ici dans une étude naturaliste de la rivière. « Née dans l’étang de Saint-Quentin, près de Trappes, elle court, fluette, dans la vallée qui porte son nom, et mythologiquement, on se la représente incarnée en une fillette à peine pubère, en une naïade toute petite, jouant encore à la poupée sous les saules. » Cette rivière incarnée par une fillette, pervertie, « symbole de la misérable condition des femmes attirée dans le guet-apens des villes » n’est pas sans faire penser aux canaux de Bruges de Rodenbach, vivante chevelure de la ville aimée et maudite. L’attrait particulier de ce texte sur le lecteur tient-il à l’humanisation de cette eau autrefois rieuse, aujourd’hui soumise et recluse ? Sans aucun doute. « L’ancienne campagnarde étouffe dans des tunnels, sortant, juste pour respirer, de terre, au milieu des pâtés de maisons qui l’écrasent. Et il y a alors une recrudescence d’âpreté au gain, un abus de rage. »
            Cette Bièvre est dédiée à Georges Landry. Guy Chastel, dans J.-K. Huysmans et ses amis nous présente l’homme. « Avant de devenir commis chez l’éditeur Savine, il avait été employé dans un magasin de confection du Sentier, la maison Hayem. Barbey d’Aurevilly fréquentait le salon de la famille Hayem, et c’est lui qui avait introduit Landry dans leur entreprise commerciale. » Les Hayem comptaient parmi les collectionneurs les plus acharnés de Gustave Moreau dont on connaît l’importance pour Huysmans et son œuvre, notamment dans A Rebours (1884). Un exemplaire offert par l’auteur à Landry portait cette dédicace : « A mon ami Landry, ce livre affolé de postulations et d’au-delà. » L’amitié de Huysmans et Landry fut d’une rare constance et ce, malgré la brouille entre Léon Bloy et Huysmans. Landry et Bloy « avaient jusqu’en 1870 habité, rue Rousselet, la même chambre et bouté les mêmes ronces pour subsister. »(Descaves) Au N°25 de la même rue vivait Barbey d’Aurevilly en son « tourne-bride de sous-lieutenant ». Bloy avait dédié Un brelan d’excommuniés(1889) à G. Landry. Mais lors de sa rupture avec Huysmans, Bloy somma Landry d’abandonner toute relation avec lui ; ce que Landry refusa.
            Landry, bien que fort peu fortuné aimait les livres par dessus tout. « Bonhomme curieux, d’après ce que m’a raconté Morisse, écrit Léautaud, grand amateur de livres dont il a de forts beaux. Il a connu Barbey d’Aurevilly, Huysmans, Coppée, très intime avec tous, très aimé et estimé de tous[…] ».

Nous reviendrons prochainement sur Huysmans et Saint-Séverin.

Joris-Karl Huysmans La Bièvre,
 Léon Genonceaux, libraire-éditeur, 1890 est en vente ICI à la librairie.

Joris-Karl Huysmans La Bièvre et Saint-Séverin,
 P.-V. Stock, Editeur, 1898, tirage de tête, 1/10 sur Japon est en vente ICI à la librairie.

Pour en savoir plus sur la Bièvre nous vous recommandons cet excellent ARTICLE.

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